INTERVIEW
Rappelons que ton dernier album avec des textes personnels date de 2002. Entre cette date et aujourd’hui, tu avais réalisé et interprété 4 autres CD :
- Agnès et moi, sur des textes d’Agnès Desarthe,
- Pom Pom Girl, sur des poésies de Hervé Federspiel,
- Comptines Meuh Meuh, un album pour enfants écrit avec Marie Nimier,
- et enfin les Chansons d’amour du quinzième siècle, sur des textes de Charles d’Orléans notamment, publiées en 2009 …
Michel Lascault. Oui, j’ai eu besoin pendant ces neuf années de me détacher de ma propre écriture et d’aller vers les textes des autres. En prenant de la distance, j’ai paradoxalement pu retrouver la singularité de mon écriture.
Signalons d’ailleurs qu’une des Comptines Meuh Meuh a reçu le prix de composition et d’écriture du Concours Ré-Crée Chorales, et qu’une des Chansons du XVe siècle s’est retrouvée en play-list sur Radio Néo.
Michel Lascault. Oui, un certain nombre de gens soutiennent des initiatives de ce genre, artisanales, à l’écart des sentiers battus.
Pour en revenir aux Haïku, c’est donc un album vraiment personnel…
Michel Lascault. Oui, personnel, mais pas confessionnal ! J’y parle de choses vécues, pensées, éprouvées, rêvées. De souvenirs aussi. Des saisons et des dates.
Quelle est l’aire géographique de cet album, marqué au sceau du Japon?
Michel Lascault. Oh, le mot haïku n’est pas à prendre au sens propre. Je l’ai choisi pour son côté percussif, presque visuel. Bien sûr, le fait que les haïku soient aussi liés au vivace, à l’éphémère, au saisonnier et à la concision n’est pas absent de ce choix. Pour parler territoires, j’y parle du 93 où je travaille, ainsi que du square en face duquel j’habite. Ça manque un peu d’exotisme. Il y a aussi une allusion à une rue de Nantes. Cet album est ancré dans le temps au sens large, en fait dans mon présent psychologique, constitué non seulement de l’actualité, mais de mes souvenirs, de mes lectures, de mes expériences, de mes pensées, de mes rêves.
Une expérience de proximité ?
Michel Lascault. Pendant un an, j’ai cherché au fond de moi ce qui pouvait faire surface. Il n’y a pas eu d’effort particulier pour paraître spirituel ou pour faire du beau style. À l’intérieur de ça, l’Histoire et le présent social se firent entendre : la Shoah, les expulsions, les attaques contre les Roms, le suicide d’un enfant… Mais aussi le quotidien trivial qui porte sa part d’émerveillement : un métro qui arrive, des champignons qui poussent, un papillon qui volette, le chant des oiseaux…
C’est un disque d’humeurs et de sentiments noirs : angoisse, doute, désespoir, révolte.
Michel Lascault. Il y a aussi de l’humour, de l’espoir, quelques cris de victoire et de bonheur, comme après être allé… chez le coiffeur ! L’espièglerie, le délire, la bizarrerie y ont leur place aussi, non seulement dans les textes, mais dans la musique, aux harmonies inhabituelles.
Quel est le fantasme sous-jacent à cet album ?
Michel Lascault. C’est la recherche d’une création permanente, délassante, innovante, liée au quotidien. Une théorie de la chanson anti-commerciale, faisant abstraction des codes et des modes, les fuyant même.
A quel type d’écriture rapproches-tu cet album ?
Michel Lascault. Aux aphorismes, aux mots d’enfants, aux fatrasies, aux épigrammes, aux épiphanies joyciennes. C’est-à-dire à ces petits fragments d’absolu arrachés au continuum du temps. Il y a aussi des souvenirs d’enfance, des réflexions, des mots cueillis au réveil. Des insignifiances ravies à l’oubli. Musicalement, ça se rapproche, mutatis mutandis, des brèves chansons de Poulenc ou de Satie, mêlées d’absurde et augmentées de sensations harmoniques gratouillantes !
« Ça pue la merde », c’est un fragment d’absolu ?
Michel Lascault. Pourquoi pas…
Propos recueillis par Emyly Sychel.