En 1992, j'habite Nanterre et je descends parfois à Paris faire le tour des galeries. J'ai un véritable coup de foudre pour une jeune artiste iranienne qui expose à Bastille des produits noirâtres sur des étagères, de la paille sombre, une boutique post-apocalyptique qui me fait penser à l'esthétique de Mad Max, à tous les produits improbables, sans valeur, mais accumulables qu'on pourrait vendre dans l'errance et la solitude si des bombes nucléaires ou un météore ou je ne sais quoi dévastaient notre civilisation. S'ensuit une belle amitié avec cette Iranienne généreuse au grand cheveux frisés, souriante, astucieuse et sérieuse. Elle se disputait toujours avec ses galeristes et les quittait sans compromis. En 1994, elle expose au musée du Jeu de Paume, une sorte de consécration, et monte une boutique dans le quartier Latin. Elle était en train de la liquider pour construire d'autres projets quand la mort l'a ravie, une maladie des plaquettes qui lui remplissait parfois les yeux de sang. Elle était très entourée, et ses fêtes dans son atelier du Père-Lachaise très appréciées. Depuis, on a pu voir quelques-unes de ses oeuvres à la Dokumenta 11 en 2002 ou au CAPC de Bordeaux en 2004, deux espèces d'institutions artistiques européennes. Mais si vous allez vous promener au cimetière parisien de Pantin, du côté de l'allée des Négondos, vous aurez du mal à trouver sa tombe, un amas de terre anonyme, sans pierre, sans nom.